Ce qu’il reste d’elle

extrait

(…) Il est presque midi. Elle ne retournera pas au bar. Ce serait inutile. Et elle n’a plus envie de parler à qui que ce soit.

Elle enfile la robe rouge qu’elle avait mise de côté pour ce jour-là, essore ses cheveux encore trempés, et sort sur le pont. Dehors, la lumière est blanche, tranchante. Le ciel, sans un nuage. Le vent est tombé. L’air sent la poussière et le sel. Rien ne bouge, si ce n’est l’eau, lente, immense. Gabrielle s’avance jusqu’au bastingage. Au loin, une ligne floue découpe l’horizon. Elle aperçoit la terre, promesse du continent.
Elle reste là, droite, le regard fixé vers l’horizon, guettant les premières formes du port de Wahran.

Gabrielle glisse une main dans son sac. Elle en sort un carnet écorné, un stylo plume. Elle feuillette quelques pages, celles qu’elle a noircies les jours précédents. Des mots griffonnés à la hâte, d’autres raturés, recopiés, recommencés. Tout est là. Tout ce qu’elle a voulu dire. Tout ce qui reste d’elle. Il ne reste plus qu’à conclure.

Elle trace quelques lignes, les rature aussitôt. Comment dire adieu ? se répète-t-elle, la main fébrile. Le temps se dilate. Au moment d’arracher la page, les larmes qu’elle retenait cèdent. Elle se lève, lance le carnet par-dessus bord. Elle le regarde disparaître, happé lentement par l’eau, à peine ridée par le passage du navire. La Méditerranée paraît dormir.
Sans vraiment s’en rendre compte, elle baisse la tête, joint ses mains et murmure : « À toi, ma fille, que je ne verrai pas grandir. Pardonne-moi. »